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LE FOOTBALL INDIEN FAIT SA REVOLUTION

Si la création de l'Indian Super League (2013) est un succès, elle révèle la nécessité d'une réforme plus profonde du football indien, afin que le deuxième pays le plus peuplé du monde pèse enfin sur la planète foot.

3 ans. Comme le nombre d'année d'existence qu'il a fallu à Bengaluru (I-League), pour atteindre la finale de l'AFC Cup 2016 (équivalent de la C3). Pourtant, les pensionnaires de Bangalore ne sont que l'arbre qui cache la forêt. Ou plutôt, ce qu'il en reste. Lancée en 1996, la I-League n'a en effet jamais permis au football indien de prendre son envol.

Bengaluru a pu compter sur son attaquant Sunil Chhetri (en bleu), 2e meilleur buteur de l'équipe nationale (51 buts)

Pire, la création de l'Indian Super League en 2013 est venue chambouler le système établi puisqu'elle se veut la compétition majeure indienne, au même titre que la I-League. Deux championnats pour un seul pays, une situation insolite à laquelle la fédération indienne entend remédier en fusionnant les deux compétitions : « Ce projet, c'est le futur du football indien », confie Ishfaq Ahmed, finaliste de l'ISL 2016 avec les Kerala Blasters. Prévue pour 2017, puis repoussée, cette réforme devrait permettre d'harmoniser un système archaïque.

Indien vaut mieux que deux tu l'auras

Car si les deux championnats coexistent, l'ISL est plus qu'une simple concurrence pour une I-League sur le déclin : « L'ISL a crée un regain d'intérêt, explique Arunava Chaudhuri, ex consultant pour le Bayern Munich, l'équipe nationale indienne ou encore Mumbai City FC (ISL). Le marketing et la couverture médiatique ont été améliorés ». Mais pas que : «Évoluer en ISL permet d'acquérir de l'expérience, explique Zohib Islam Amiri, international afghan et capitaine de Chennai City FC (I-League), passé par Goa (ISL) en 2014. Les installations y sont meilleures, on doit parfois jouer sur du gazon artificiel en I-League ». Quand ce n'est pas sur un semblant de pelouse.

Ce n'est donc pas un hasard si les matches de I-League dépassent rarement les 5 000 spectateurs, quand l'ISL affole les compteurs : « L'engouement est énorme et le foot prend des parts de marchés au cricket, constate Cédric Hengbart, qui évolue lui aussi à Kerala. Pour la finale, 54 000 fans étaient annoncés, mais ils étaient plus de 70 000 ». Et cela ne s'explique pas que grâce aux noms ronflants que l'ISL a attiré : « Beaucoup de clubs français n'ont pas d'aussi belles ambiances, avoue l'ancien caennais. Il faut le voir pour le croire ».

Cédric Hengbart (en jaune au premier plan) a échoué deux fois en finale de l'ISL, à chaque fois face à l'Atletico Kolkata

De quoi donner des idées à la fédération qui souhaite capitaliser sur cette dynamique pour en finir avec une situation difficilement lisible pour le reste de la planète : « Les clubs essaient de recruter des joueurs avec un nom moins flambant mais avec un CV de qualité, poursuit-il. Pourtant, certains ne veulent pas signer un contrat pour seulement 3 mois d'ISL ». Un championnat unique et donc plus long s'avère nécessaire.

Delhi de sale gueule

Il y a pourtant un grand perdant ; ou plusieurs. Car si la I-League ne tire que peu de bénéfice de la création de l'ISL, ses clubs pourraient bientôt perdre plus gros. Ce projet de fusion ne pourra en effet pas accueillir les équipes dont les finances sont trop instables. De quoi s'attirer les foudres des clubs concernés comme Salgaocar et le Sporting Clube de Goa qui ont d'ailleurs décidé de ne pas prendre part à l'édition 2017 de la I-League. L'an dernier, Dempo, Pune et le Royal Wahingdoh avaient déjà montré la voie.

Pourtant, tout aurait pu être différent. Car avant de créer l'ISL, c'est bien la I-League qui est approchée pour être la nouvelle vitrine du foot indien. Mais à l'époque, elle ne croît pas à ce projet d'Indian Super League et préfère continuer de son côté. Et cela arrange bien la fédération : « Ce n'était de toute façon pas viable d'associer tous les clubs de I-League du fait du manque d'intérêt du public et des sponsors », analyse Arunava Chaudhuri. Et tant pis pour les clubs restés sur le carreau : « C'est triste, mais si on veut avancer, il faut savoir faire des sacrifices », confesse Ishfaq Ahmed, pourtant passé par Dempo, Salgaocar et Pune.



Cédric Hengbart va même plus loin : « Avec l'ISL, les fans ont vécu plus de choses en trois ans que certains en vingt ans de I-League, explique-t-il. Il faut réunir les deux ». Et les promoteurs (IMG-Reliance) de l'ISL ne vont pas s'en plaindre, comme le rappelle Chaudhuri : « Pour IMG-R, l'histoire ne compte pas autant que les intérêts commerciaux ». Pas plus que les supporters. Car cinq des huit franchises d'ISL (NDLR: en bleu sur la carte) sont implantées dans des villes déjà dotées d'un club en I-League (NDLR: en rouge sur la carte) : « Les fans traditionnels sont attachés à l'I-League, les plus jeunes se tournent vers l'ISL, poursuit-il. Les authentiques amoureux du foot supportent les deux ». Il faudra donc choisir. Et pour ceux vivant dans une zone dépourvue d'équipe - plus de la moitié du territoire - ce choix sera par défaut.

En attendant Bodo

Cette stratégie a au moins le mérite de crédibiliser l'Inde et son football. D'autant qu'en octobre 2017, le pays accueille la Coupe du Monde U17, et ce n'est pas un hasard. L'Inde le sait, le développement de son championnat n'est qu'un moyen de faire progresser une équipe nationale reléguée au 130e rang FIFA. Le Mondial U17 est donc l'opportunité de mettre l'accent sur les jeunes joueurs et leur formation. Avec en ligne de mire la Coupe du Monde 2026 qui se disputera à 48 équipes, le plan de route apparaît plus clairement.

D'autant que la fédération travaille en amont. Un championnat U15 a été lancé cette année, après avoir inauguré une version U17 et U19 l'an passé. Mais ce n'est pas tout : « Les franchises d'ISL avaient jusqu'à cette année pour se doter d'une académie, détaille Hengbart. Des partenariats se montent afin d'envoyer de jeunes indiens dans des clubs européens ». L'AIFF Elite Academy en a d'ailleurs envoyé cinq du côté du FC Metz l'an dernier.

Baoringdao Bodo (deuxième en partant de la droite) et ses coéquipiers lors de leur passage au FC Metz

L'un deux, Baoringdao Bodo, a rejoint Minerva Punjab où il est devenu le plus jeune buteur de l'histoire de la I-League, à 17 ans. Reste à savoir si Bodo sera au rendez-vous fixé par l'équipe nationale, en 2026. D'ici là, il s'agit pour lui d'intégrer l'ISL, ou le futur championnat, afin d'avoir une chance de définitivement faire le grand saut vers l'Europe : « La qualité des joueurs a été multipliée par 3 ou 4 en ISL, poursuit-il. Certains sont très jeunes, et techniquement, ils pourraient intégrer des équipes de Ligue 2 ». De leur côté, des formations plus huppées ont flairé l'immense potentiel du pays et ont ouvert leur propre école sur le sol indien. Depuis 2014, c'est le cas du PSG qui a ouvert son académie à New Delhi et Bangalore. L'occasion, qui sait, de dénicher le prochain Vikash Dhorasso.

Vladimir CRESCENZO (@LePronographe)


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