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POURQUOI LE FOOT FRANCAIS N'EST PAS GAY-FRIENDLY ?

Alors que la lutte contre le racisme est souvent revendiquée par les groupes de supporters français, celle contre l'homophobie ne va pas toujours de paire. Pour changer les mentalités, des groupes ouvertement « LGBT » voient le jour un peu partout en Europe et aux Etats-Unis. Pourtant, toujours rien dans les tribunes de Ligue 1.

Si Manchester United ne mène plus la danse en Premier League, les Mancuniens restent leaders de la lutte en faveur des droits LGBT. Depuis le 7 mars dernier, United est en effet le premier club anglais à s'engager aux côtés d'une association caritative LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Trans), Stonewall. Rien d'étonnant lorsque l'on sait que l'Angleterre recense vint-cinq groupes de supporters LGBT dans ses différents championnats. Ils étaient d'ailleurs une grande partie à avoir fait le déplacement à Berlin du 5 au 9 octobre 2016 pour la « Football Pride Week », une semaine de réflexion autour des stratégies de lutte contre l'homophobie dans le football : « Ca nous a permis de rencontrer les différents représentants des groupes européens, notamment anglais », explique Samuel Bonnefont, président de l'Impact LGBT+, groupe de supporters de l'Impact de Montréal. Pourtant, aucun mouvement d'ultras français ouvertement « LGBT friendly » n'était présent pour donner le change. Et pour cause, il n'en existe aucun dans l'hexagone.

Berlin et l'Allemagne n'ont d'ailleurs pas été choisis au hasard pour accueillir cette semaine de la fierté dans le football. Dans les travées de Bundesliga, les banderoles arc-en-ciel sont en effet devenues chose commune : « Les groupes LGBT anglais ont été inspirés par le travail des fans de Mayence », explique Paul Amann, responsable de Kop Outs, l'association de Liverpool. Un mouvement qui prend donc sa source de l'autre côté du Rhin, où les ultras sont partie prenante de la lutte contre l'homophobie dans le football : « En Bundesliga, ils sont actifs depuis 5, 10 ou 15 ans, précise Lindsay England, fondatrice de l'association « Just a Ball Game ? » mais aussi du groupe de supporters LGBT de Bradford (League One, D3). Certains sont même là depuis 20 ans. »

Nacho Nacho Man

Sankt Pauli (2. Bundesliga, D2) est d'ailleurs l'exemple le plus abouti de cette implication des fans. Pionnière en Allemagne, la formation de Hambourg est un exemple à suivre pour les groupes récemment créés : « Dans Valley Parade (le stade de Bradford), il y a un drapeau arc-en-ciel qui flotte chaque jour de match, poursuit Lindsay England. Le seul autre club à faire ça, c'est Sankt Pauli. » Un signal fort envoyé par le club, rendu possible grâce au travail du mouvement Bradford City LGBT. Et si les autres écuries anglaises n'ont pas encore hissé de bannière multicolore au sommet de leur stade, toutes accueillent au moins dans leur enceinte une banderole à l'effigie du groupe LGBT local. Au même titre que celles représentant les supporters venus des quatre coins du pays : « Avoir une banderole accrochée lors de chaque match, c'est vraiment important, explique Dave Raval, responsable des Gay Gooners d'Arsenal, fondé en 2013 et pionnier du mouvement en Angleterre. Cela rappelle aux fans, joueurs, arbitres et membres du staff que le football est destiné à tout le monde, dans sa diversité. »

Et la piqûre de rappel est parfois loin d'être superflue : « Notre présence en tant que LGBT visibles au stade Saputo de Montréal est primordiale car certains membres de la communauté gay hésitaient à aller au stade à cause de l'ambiance très masculine et hétéro, analyse Samuel Bonnefont. En plus des t-shirts et drapeaux, on a lancé « Nacho Man », un chant sur l'air de Macho Man des Village People, en référence à Ignacio « Nacho » Piatti. » Un pied de nez aux supporters qui usent, le plus souvent inconsciemment, de chants homophobes pour encourager leur équipe et lancer des piques aux fans adverses. L'homophobie n'est jamais anodine, même dans un stade, et la visibilité de ces fans LGBT est là pour le rappeler : « Comme il n'y a pas de joueurs ayant fait son coming out, si les gays ne sont pas visibles non plus en tribunes, l'insulte homophobe apparaît sans conséquences », explique Julien Pontes, ancien président du Paris Foot Gay et co-fondateur de Rouge Direct, association qui a pris la suite du PFG.

L'ancien international allemand, sorti du placard après sa retraite, Thomas Hitzlsperger, a d'ailleurs récemment remercié ces groupes, expliquant toutes les avancées que permettent leur travail. Un soutien de poids qui encourage ces groupes britanniques à poursuivre leur action. Et surtout à relativiser un règlement très strict qui veut que les billets soient numérotées afin d'éviter que des groupes se forment : « De toute façon, on ne veut pas être isolé dans une sorte de ghetto LGBT à l'intérieur du stade. Le but est que chaque fan puisse s'asseoir où il le souhaite », explique Di Cunningham, responsable des Proud Canaries de Norwich. D'autant que leurs initiatives ne sauraient se limiter aux tribunes des stades : « On est visible sur les réseaux sociaux, parfois sur l'écran géant du stade ou sur le programme du match, poursuit Di Cunningham. La mascotte du club, Captain Canary, a même défilé en tenue arc en ciel lors de la Gay Pride de Norwich ».

Des actions qui viennent « d'en bas », des supporters eux-mêmes et qui permettent d'impliquer chaque spectateur. Peut être plus que lorsque la ligue s'en charge : « Ces groupes prennent de l'importance et la grande majorité des fans anglais a favorisé leur intégration », détaille Tom Taylor, responsable de la communication de Kick It Out, association de lutte contre les discriminations dans le football anglais. Une évolution qui normalise la présence de la communauté LGBT dans la culture foot pour mieux lutter de l'intérieur, comme le rappelle le responsable des Gay Gooners : « Les gens ne s'en prennent pas à un groupe d'individus s'ils le connaissent personnellement ». D'autant que le combat à vocation à dépasser les frontières du Royaume Uni : « Sur nos 500 membres, 10% sont étrangers. Certains vivent dans des pays où il est illégal d'être gay, poursuit-il. Voir que leur club est fier de les avoir comme fan, cela doit leur permettre de garder espoir. » Alors que la Coupe du Monde se tiendra en Russie (2018), puis au Qatar (2022), il est primordial que la Premier League, championnat le plus suivi au monde, et ses clubs, montrent l'exemple.

Durs à queer

Pour certains responsables de ces groupes, les instances anglaises n'iraient pourtant pas assez loin : « Cela fait 15 ans que je suis active, et j'ai eu très peu de soutien de la part de la Premier League, déplore Lindsay England. L'Angleterre fait partie des leaders du mouvement, mais c'est à minima. »  Un manque d'engagement qui a tout de même eu le mérite de faire bouger les lignes : « Jusqu'à récemment il y avait peu d'initiatives de la FA League, et c'est ce qui a poussé les groupes LGBT à se prendre en main, explique Di Cunningham. En deux ans et demi, on est passé de quatre groupes à vint-cinq. » Mais ce qui est valable d'un côté de la Manche, ne l'est pas nécessairement de l'autre. A la question de savoir s'il faut transposer ce modèle tel quel, Pascal Brethes, co-fondateur de Rouge Direct, a un avis tranché : « L'Angleterre ou l'Allemagne encouragent les groupes LGBT a être de plus en plus  visibles. Le communautarisme y est vécu comme positif et serait la solution à l'homophobie, constate-t-il. Pouvons-nous imaginer un char de la FFF ou de la LFP à la gay pride ? En Hollande, c'est arrivé. »

A quand un tel groupe dans les stades de Lyon, Paris, Bastia ou Marseille ? Pas pour tout de suite si l'on en croit Rouge Direct : « L'expérience serait intéressante, mais pas sans risques car ce n'est pas adapté à la mentalité française et le nier est une malhonnêteté intellectuelle, poursuit Julien Pontes. Les pays nordiques sont plus ouverts sur ces questions sociétales, avec des instances qui ne sont pas dans le déni comme en France. » D'autant que la configuration des stades en Angleterre est particulière : « De nombreux pays ont eu à lutter avec des fans très virulents, ce qui complique la question, analyse Dave Raval. En Angleterre, il y en a moins et ils sont bien moins important depuis qu'ils ont été poussé hors des stades. » Pour autant, après avoir œuvré avec le PFG, les durs à cuire de Rouge Direct - Pascal Brethes et Julien Pontes - ne désespèrent pas d'associer durablement les ultras dans ce combat pour faire définitivement tomber les barrières de genres : « Cela à déjà eu lieu au moment du Paris Foot Gay, rappelle Julien. On a organisé un tournoi contre l'homophobie en partenariat avec les Girondins de Bordeaux, avant de faire un déplacement avec leurs Ultras puis d'assister à un match dans le virage sud avec eux. »

Attention tout de même à ne pas tomber dans l'amalgame entre ce qui a pu se passer en Angleterre avec les hooligans, et le cas des ultras français, qui n'a rien à voir. Et tant mieux : « Il n'y a aucune antinomie entre le milieu ultras et le combat contre l'homophobie, poursuit Pascal. Il y a quelques années le PSG avait organisé un tifo contre le racisme, l'homophobie et la violence, et le public avait suivi. Les Ultras bordelais avaient également, de façon spontanée, fait une banderole. Il faut juste faire la différence entre ceux qui viennent encourager leur club et ceux qui viennent avec des intentions malveillantes ». Si le mouvement des groupes LGBT n'a pas encore pris en France, la question est alors de savoir si le public peut s'impliquer durablement. En mettant les codes des ultras au service de ce combat comme c'est beaucoup plus souvent le cas en Allemagne où les tifos n'hésitent pas à dénoncer l'homophobie.

Pas question de jeter la pierre, mais pour Rouge Direct, rien n'est moins sûr : « Certains groupes de supporters ont intégré ce combat, de la même manière que celui contre le racisme, pose Julien Pontes. Mais le sujet reste tabou pour certains et lorsque l'on vous rétorque que traiter une équipe de "pédé", c'est du folklore local, on est dans le déni. » Dernier exemple en date à Toulouse, le 8 février 2017, où un supporter a porté plainte contre les fans marseillais : « La dimension homophobe n'est pas encore admise par certains ultras qui n'ont pas conscience que leurs chants homophobes sont dévalorisants, blessants, et font très mal à entendre, poursuit-il. "Il faut tuer ces pédés de Toulousains", c'est un appel au meurtre, c'est extrêmement grave. » Une clarification importante, car nous sommes nombreux à avoir participé, inconsciemment, à ces actes d'homophobie ordinaire dans les stades. Alors qu'une telle action pourrait faire jurisprudence dans le sport, il n'y a eu pour le moment aucun retour. Une anomalie quand on sait que les cris de singes proférés par des supporters bastiais à l'encontre de Mario Balotelli, le 20 février dernier, ont été immédiatement sanctionnés par la LFP : « Nos dirigeants n'ont pas du tout envie de prendre le problème au sérieux et de travailler sur cette discrimination, analyse Pascal. Il faut donc travailler avec les groupe de supporters qui sont réceptifs et créer une dynamique positive. »

Qui veut la peau de Robbie Rogers ?

Si les supporters ont un rôle à jouer, l'exemple doit également venir d'en haut pour que les ultras s'impliquent de manière continue dans cette lutte. Un facteur compris depuis longtemps en Major League Soccer : « Contrairement à l'Europe, la MLS donne le ton en faisant des campagnes contre les discriminations, au sens large, explique Samuel Bonnefont. Le fait de ne pas séparer les différentes luttes permet d'être plus efficace. » Lorsqu'en août dernier, Robbie Rogers, seul joueur ouvertement gay a évoluer au plus haut niveau, a été victime d'insultes homophobes lors d'un match avec la réserve des Los Angeles Galaxy, la MLS n'a pas hésité à prendre des sanctions. Traiter l'homophobie avec la même fermeté que le racisme, de quoi favoriser un climat propice à l'engagement des supporters. Un exemple à suivre dont la France et la LFP serait encore loin : « L'opération « lacets arc-en-ciel » en 2014, c'était une vaste fumisterie. La LFP est allée jusqu'à préciser que l'arc-en-ciel n'était pas un symbole LGBT, rappelle Pascal Brethes. Certains joueurs pensaient même qu'il s'agissait d'une opération contre le racisme ! »

Comme la MLS, l'Angleterre et la FA League ont d'ailleurs pris le parti de ne plus se cacher : « Depuis 2007, le règlement encadrant les matches de foot a été changé afin que l'homophobie soit traitée de la même manière que le racisme », explique Paul Amman. Paru en 2013, le rapport Karam du Ministère des Sports indique d'ailleurs que les terrains de foot sont des « défouloirs d'injures racistes et homophobes », citant un responsable de la FFF. La situation est donc connue des instances françaises, mais ses actions sont encore jugées trop timides pour que les mentalités de certains supporters évoluent : « Il faut commencer par mettre en place des commissions d'observation dans les stades afin d'établir un rapport de ce qui a été vu et entendu concernant des faits de racisme ou d'homophobie, propose Julien Pontes. Les stades sont équipés de caméras vidéo : on dispose de tous les moyens pour recenser les faits et identifier les auteurs. »

Plus simplement, Kick It Out a récemment donné un coup de pouce à la FA League pour que celle-ci ne laisse plus les auteurs impunis : « On a créé une série de ressources à destination des stewards, explique Tom Taylor. Cela va les aider à mieux comprendre la situation et à lutter plus efficacement contre les faits d'homophobie et leurs auteurs. » Si la prise de conscience semble plus présente chez nos voisins britanniques, un élément de réponse est à chercher du côté de son histoire : « Après le drame d'Hillsborough en 1989, tout a changé et des mesures ont été prises pour endiguer le racisme, poursuit-il. Maintenant, c'est au tour de l'homophobie d'être pris en considération comme le racisme l'a été à l'époque. Il n'y a plus de différence entre les deux comme ça a pu être le cas. » Le suicide de Justin Fashanu en 1998, après avoir révélé son homosexualité en 1990, a sans doute favorisé cette évolution: « La vie de Justin est une source d'inspiration pour beaucoup, analyse Paul Amman. Ce drame a révélé un besoin de changement dans le football anglais. » Du côté de Norwich où l'ex international espoir anglais a débuté, le constat est le même : « La manière dont la mémoire de Justin est respectée a permis aux Proud Canaries d'être encore plus soutenus », confesse Di Cunningham.

Mais plus qu'un drame, la France et ses ultras ont besoin d'un élément déclencheur, comme ces événements ont pu l'être : « Il sera intéressant de voir si les Gay Games 2018, qui se tiendront à Paris, seront vécu positivement ou au contraire comme un événement communautariste gay », s'interroge Pascal Brethes. La compétition aura au moins le mérite de faire cohabiter culture LGBT et sport. Pour Dave Raval des Gay Gooners d'Arsenal, cela pourrait même être le déclic tant attendu : « On avait soutenu la candidature de Londres, mais Paris l'a emporté à la loyale, se rappelle-t-il. C'est une bonne chose que cela se passe dans un pays ou les mentalités ont du mal à évoluer. » De là à pousser des groupes LGBT à s'organiser pour venir garnir les tribunes de Ligue 1 ? Les groupes anglais sont en tout cas prêt à donner un coup de main si l'idée venait à germer : « On adorerait aider des groupes LGBT à se monter en France. » L'appel de Di Cunningham est lancé.


Vladimir Crescenzo

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